jeudi 9 août 2007

L’Economiste : Affaire Al Watan : La défense torpille l’enquête de la PJ


Les délais de la garde-à-vue dépassés· La requête de liberté provisoire encore rejetée· La témérité judiciaire au centre des débatsQuatrième acte du procès d’Al Watan. La prochaine audience est fixée pour le 7 août près du tribunal de première instance de Casablanca. Un chiffre symbolique. La chance sera-t-elle du côté de la défense cette fois-ci?Le juge Zahran, qui préside le procès d’Al Watan, a rejeté jeudi dernier, pour la 3e fois, la requête de liberté provisoire déposée par la défense. Les débats de l’audience ont été pour le moins mouvementés. Le duo formé par Me Khalid Soufiane et Me Abderahim Jamaï s’est alterné pour défendre les prévenus. La salle 8 affichait complet malgré la chaleur torride. Plus d’une dizaine de journalistes et une trentaine d’avocats étaient présents. Me Soufiane a fait valoir que «le corps journalistique, représenté par le Syndicat de la presse, et un collectif d’artistes se portent garants de la libération du journaliste Mustapha Hormat Allah». La garantie morale n’a pas été retenue par les juges. Même l’argument de l’exceptionnalité de la procédure de détention provisoire n’a rien changé. Une procédure curieusement écartée dans l’affaire CIH (L’Economiste du 3 août). · Signe de protestationDans l’affaire Al Watan, l’opposition du parquet à la liberté provisoire reste incompréhensible. Mais elle a finalement pesé lors de l’audience du 2 août. Ce n’est pas une surprise. «Pourquoi le procureur du roi s’acharne-t-il à ne pas donner de justification à sa position?», s’interroge énergiquement Me Jamaï. La défense devra donc patienter. Le regard de l’assistance se détourne vers le journaliste Hormat Allah qui comparaît en état de détention depuis le 24 juillet. A ses côtés se tient le directeur de publication d’Al Watan, Abderahim Ariri, avec un brassard rouge en signe de protestation. Contrairement à son collègue, celui-ci est en liberté provisoire. Pourtant, l’un et l’autre sont poursuivis pour avoir publié des informations jugées «confidentielles». L’acte a été qualifié de délit et non pas de crime. L’accusation s’est basée sur l’article 517 du code pénal qui sanctionne le recel d’une chose obtenue à l’aide d’un crime. Entre-temps, le binôme Jamaï/Soufiani soulève un autre débat. Ils passent au crible la procédure de la garde-à-vue ayant visé les 2 journalistes. Leur plaidoirie souligne d’abord une expression aux résonances péjoratives. La forme importe autant que le fond. Les PV de la police judiciaire (PJ) utilisent le terme de «dénommé» et non pas de «Monsieur». Un détail qui compte. Car «nos clients ne sont pas des repris de justice mais des journalistes», argumente Me Soufiani. En face, le collège des juges écoute avec un air impassible. Une attitude «ordinaire». Les délais de la garde-à-vue ont été également pointés du doigt. La PJ a adressé, le 17 juillet, une demande au procureur pour qu’ils soient prolongés. «Seulement, la requête intervient plus de 96 heures après. C’est dire que les enquêteurs n’ont pas respecté l’article 66 du code de la procédure pénale (CPP)», souligne Me Soufiani. La loi précise que le délai de la garde-à-vue est de 48 heures renouvelable une fois à 24 heures. Lorsqu’il s’agit notamment d’atteinte à la sécurité interne de l’Etat, la procédure peut durer 96 heures renouvelables une fois. Dans l’affaire Al Watan, «la garde-à-vue des deux journalistes a pour motif le recel et non pas la diffusion d’informations confidentielles», souligne la défense. Une distinction de taille puisque le prolongement de celle-ci ne peut atteindre les 96 heures. Le parquet n’a pas remédié à «l’erreur» commise par la PJ. «Il a accordé le prolongement de la garde-à-vue sur une fausse base juridique. Ce qui, indirectement, couvre la bavure de la PJ », martèle Me Jamaï. Au final, les avocats de la défense demandent l’annulation des PV de l’enquête préliminaire, car «ils sont entachés d’illégalité». La salle 8 est subitement plongée dans un silence fracassant. Le parquet, représenté par Rachid Bennani, se lève posément. Il rétorque en mettant en avant une jurisprudence datant des années 80. «Le non-respect des délais n’entraîne la nullité que lorsqu’il y a vice de fond», d’après un arrêt de la Cour suprême. Son argumentaire fait également référence à l’article 751 du CPP. «La jurisprudence n’est pas d’accord avec la doctrine sur les motifs de l’illégalité de la garde-à-vue», conclut le parquet. Du coup, le débat prend une tournure politique. Le passé resurgit. «Une telle jurisprudence remonte aux années de plomb. L’Instance équité et réconciliation (IER) a condamné les pratiques de cette époque», conteste vivement la défense. Le débat s’est particulièrement envenimé en fin d’audience. Me Jamaï fait un renvoi à la «sécurité juridique des citoyens» et au «rôle du juge» dans cette quête judiciaire. Le président lève l’audience. Hormat Allah reste derrière les barreaux.
Le volet militaire
LE volet militaire du procès d’Al Watan soulève aussi des interrogations… juridiques. Le tribunal permanent des Forces armées royales (FAR) a lui aussi reporté la prochaine audience des huit militaires, poursuivis dans l’affaire d’Al Watan, au 7 août. Les juges ont décidé, dès la 1re audience, de convoquer des témoins… mais seulement en cas de besoin?! «Ce n’est pas obligatoire», d’après eux. Dans ce procès, les témoins ne sont autres que le directeur de l’hebdomadaire arabophone, Abderrahim Ariri, et le journaliste Mustapha Hormat Allah. La défense a, bien entendu, insisté sur la convocation de ces deux témoins-clès. Le tribunal a fini par adopter l’avis du parquet.L’affaire Al Watan a été dissociée en deux volets par le parquet. Les journalistes ont été déférés au tribunal civil et les officiers devant une juridiction militaire. La divulgation du secret professionnel (article 446 du CP) est l’un des chefs d’accusation auxquels ils doivent répondre. Par ailleurs, le tribunal militaire a accepté que la défense consulte les documents saisis. Faiçal FAQUIHI

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