samedi 28 juillet 2007

L’Economiste : Affaire Al Watan : Y aura-t-il jurisprudence?

25 07 2007
· Plusieurs principes de droit sont en concurrence· Directeur de publication libéré provisoirement, journaliste écrouéL'Affaire Al Watan a entamé, hier près la Cour d’appel de Casablanca, une nouvelle phase judiciaire. Le directeur de publication de l’hebdomadaire, Abderrahim Ariri, et le journaliste, Mustapha Hourmat Allah, ont été déférés devant le procureur général du Roi. Celui-ci a décidé d’écrouer l’auteur de l’article et d’accorder la liberté provisoire au directeur de publication. Ariri et Hourmat Allah ont été auditionnés, depuis la semaine dernière, par la police judiciaire (PJ). L’affaire Al Watan a été déclenchée après l’ouverture d’une enquête préliminaire pour la publication d’un dossier intitulé «Les rapports secrets derrière l’état d’alerte au Maroc» dans son édition du 14 juillet. Elle a conduit à l’arrestation de 7 officiers des Forces armées royales (FAR) ainsi qu’à l’audition d’autres militaires et policiers. La PJ a saisi dans les locaux de l’hebdomadaire plusieurs documents. Le caractère «confidentiel» de ces derniers est avéré, puisque la publication elle-même y fait mention dans sa Une. Ce dossier soulève, en revanche, deux grandes questions juridiques. L’article 1 du Code de la presse précise que «tous les médias ont le droit d’accéder aux sources d’information…, sauf si lesdites informations sont confidentielles en vertu de la loi». Dans ce cas de figure, elles ont un rapport avec «la sécurité intérieure de l’Etat». On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité légale de l’ingérence des autorités dans l’activité journalistique. Les restrictions légales à la publication ne devraient pas êtres automatiques. L’article 1 du Code de la presse est un principe général de droit. Et chaque règle juridique connaît des exceptions. Le but étant d’éviter les abus et surtout de hiérarchiser, au cas par cas, les principes de droit, notamment constitutionnels, lorsqu’ils sont en concurrence. La jurisprudence étrangère, souvent retenue par les juridictions nationales, permet d’éclaircir ce point de droit. La presse, selon les termes souvent employés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), joue un rôle de «chien de garde». La publication d’informations dites «confidentielles» permet dans une certaine mesure d’évaluer le degré de la menace par l’opinion publique elle-même. La liberté d’expression «vaut non seulement pour les informations ou idées […] considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction de la population», précise l’arrêt Handside du 07/12/1976 de la CEDH. Un autre débat pourrait être enclenché sur les restrictions préalables à la publication. Il en va spécialement dans le cas de la presse. L’information est bien périssable, et en retarder la publication, même pour une brève période, pourrait la priver de toute intérêt. Le 2e point est celui de la divulgation des sources d’un journaliste lors d’une procédure judiciaire. Là aussi, plusieurs principes de droit sont en confrontation: secret professionnel, liberté d’expression, sûreté nationale… Le célèbre arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni du 27 mars 1996, qui traite de l’injonction judiciaire faite à un journaliste de révéler l’identité de son contact apporte des éléments de réponses. La CEDH consacre la protection des sources journalistiques. «L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’informer le public sur des questions d’intérêt général». La sécurité publique en est une. En conséquence, la presse ne pourra pas jouer son rôle de «chien de garde» et son «aptitude à fournir des informations précises et fiables». Dans son arrêt Fressoz et Roire c/ France (21/01/1999), la Cour de Strasbourg va plus loin. Elle considère que la reproduction du support de l’information permet plus de crédibilité, conformément à l’éthique journalistique. Dans l’affaire Al Watan, la jurisprudence sera amenée à dégager une réflexion sur une liberté d’expression à la croisée des chemins. Car le Droit ne peut se contenter du flou.
Faiçal FAQUIHI

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