Le directeur du Centre pour la liberté des médias en Afrique du Nord et Moyen-Orient (CMF MENA) est formel : l’affaire Ariri – Hormatallah et le projet de Code de la presse risquent de restreindre considérablement la liberté d’expression au Maroc. Entretien.Comment jugez-vous l’état de la presse et de la liberté d’expression à la lumière de l’affaire Ariri – Hormatallah, poursuivis pour “recel de documents confidentiels” ?Cette affaire tombe bien, d’une certaine manière. Elle relance le débat
sur la liberté d’expression, et surtout sur le droit d’accès à l’information. Dans l’affaire Ariri, tout le monde, à commencer par les professionnels de la presse (Syndicat et Fédération des éditeurs) s’est focalisé sur le procès, l’interpellation de Ariri et Hormatallah et le maintien de ce dernier en détention… Tout cela est trop grave, mais il ne doit pas nous faire oublier ce qui se passe en parallèle : le procès des huit militaires dans la même affaire (dont le procès s’est ouvert jeudi, au Tribunal militaire de Rabat. ndlr).Quelle est l’importance de ce procès ?Elle est extrême. Parce qu’on est en plein débat sur le droit d’accès à l’information. Moi, je pose la question : qu’adviendra-t-il des officiers en cours de jugement ? Qui se soucie de leur sort ? Les journalistes, mais aussi les associations des droits de l’homme, devraient s’en inquiéter. Le procès intenté à ces gens n’est peut-être, au final, qu’une autre forme d’intimidation. Et on est en droit de penser que l’Etat est en train de punir des “informateurs” de la presse et, au-delà, de l’opinion publique.Le rôle des militaires n’est-il pas tout autre que de servir d’informateurs des médias et de l’opinion publique ?Les militaires et les policiers appartiennent à la société marocaine. Et tant qu’ils ne mettent pas en péril la sécurité de l’Etat, et la nature des documents publiés par Al Watan en atteste largement, ils peuvent informer, et même dénoncer quand il y a lieu de le faire. C’est probablement ce qu’ils ont fait. Et aujourd’hui, personne ne se soucie d’eux. Quand j’ai fait la remarque au comité de soutien d’Ariri, on m’a répondu : “Nous, ce qui nous intéresse, ce sont nos journalistes”. C’est dommage, parce que tout est lié. Et l’affaire Ariri, dans son ensemble, est plus importante qu’elle n’y paraît. Elle risque, par bien des aspects, de mettre fin à toute possibilité, pour les médias et l’opinion publique, d’obtenir des informations de première main.Il y aurait donc, selon vous, une volonté politique de verrouiller l’accès à l’information ?Cela y ressemble. Beaucoup d’indices vont dans ce sens. Le gouvernement marocain a concocté, discrètement, un projet de loi pour contrôler les archives nationales. Nos archives, selon le texte adopté, pourront basculer dans le domaine public au bout de 30, 60 ou 100 ans, selon leur importance. Mais les archives militaires resteront, elles, à part, puisqu’elles ne rentrent dans aucune des trois catégories. Je rappelle aussi, sur un autre plan, que le Maroc a ouvert, via la HACA, le champ aux radios privées mais en réduisant les créneaux. En d’autres termes, on peut aujourd’hui créer une radio musicale, mais pas une radio associative, on peut divertir, mais pas informer. Je trouve cela très paranoïaque comme attitude. Certes, le Maroc n’a pas la maturité démocratique de certains pays européens, mais des pays comme le Mali ou la Mauritanie ont autorisé les radios associatives. De tout cela, il y a une vérité qui se dégage : le Maroc considère toujours l’information, et donc la presse, comme un danger potentiel.Que pensez-vous du projet de Code la presse, aujourd’hui en stand by chez le gouvernement ?Ce projet, autant dans sa teneur que dans la manière dont il a été préparé, confirme l’orientation frileuse du gouvernement. L’essentiel n’est pas dans la réduction des peines de prison, mais ailleurs. Imaginez que pour créer un journal, il faut pratiquement dévoiler son livret de famille, ses comptes bancaires, l’état de son patrimoine, etc. C’est inacceptable, c’est surtout aberrant quand on se prétend un pays “libéral”.L’ouverture aux capitaux étrangers, stipulée dans le projet, ne représente-t-elle pas une avancée ?C’est un leurre. Si le capital étranger représente plus de 30% dans le montage financier d’un journal, ce dernier est considéré comme étranger. C’est encore une fois aberrant. Il faut choisir ce que l’on veut : soit on s’ouvre et on assume, soit on oublie et on reste dans notre état de sous-développement. Le Maroc a du mal à concevoir que la presse est, dans la définition moderne du terme, un secteur d’investissement, créateur de richesses. Le projet de Code de la presse ne témoigne absolument pas de cette évolution.Quel rôle pourrait jouer, demain, le Conseil national de la presse (CNP), voulu par le souverain, et prévu dans le projet de Code de la presse ?Le CNP pourrait jouer un rôle important, mais tout en subtilité : celui de soulager l’Etat de l’énorme pression qui pèse sur ses épaules chaque fois qu’un journaliste est victime d’une lourde décision de justice ! Si c’est le CNP qui, demain, sanctionne un journaliste, il sera difficile à une ONG internationale de pointer l’Etat du doigt.Un journal ne peut pas, non plus, écrire n’importe quoi et ouvrir ses portes à n’importe qui. Comment faire alors pour séparer le bon grain de l’ivraie ?C’est une question de philosophie générale. Au Maroc, la liberté d’expression a franchi des paliers, c’est incontestable. Aujourd’hui, toutes les sensibilités politiques et sociétales peuvent plus ou moins s’exprimer. Et cela, on le doit principalement à la jeune presse indépendante. Mais ce n’est pas une raison pour s’arrêter en si bon chemin. Surtout que, en face, la mentalité dominante n’a pas changé : la presse est plus considérée comme un danger et une source d’ennuis qu’un bon investissement. Un Etat qui raisonne ainsi n’est pas dans le giron des pays démocratiques. Il faut laisser la presse indépendante aller de l’avant dans son rôle de “watchdog” par rapport au Pouvoir, et laisser tous les extrémismes s’exprimer. Parce que la force d’une démocratie est aussi de pouvoir absorber tous les excès.
dimanche 21 octobre 2007
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